Si la poésie est une seconde théologie, on peut trouver malgré l'athéisme et l'anti-christianisme de Rilke une voie qui peut ouvrir à un ailleurs, d'autres étincelles de l'âme.
Comme Nietzsche, Rilke a une foncière exigence à la fidélité à la terre et vise une certaine surélévation utopique et eschatologique de l'état actuel du monde jusqu'à l'exigence d'éprouver sa puissance productrice au contact de Dieu.
D'un amour platonicien qui naît au contact du Toi concret pour s'épancher au delà de l'infini, Rilke nie la fidélité mais met en avant la pauvreté tel un grand jaillissement de l'intérieur.
Le pauvre, le rejeté est le lieu ou kénotiquement réside le divin.
Pour Balthasar, chez Rilke tout tourne autour d'un centre narcissiste et ce qu'il poursuit ne trouverait de solution que dans l'amour trinitaire chrétien [s'il acceptait de s'y perdre]. Mais Rilke reste athée.
Il loue un éros "d'en bas" victorieux. Cet éros est l'absolu qu'une révélation venant d'au delà de l'abîme n'atteint plus. Cet réduction érotique pourrait nous conduire d'ailleurs à penser que la réconciliation du monde avec Dieu passe par notre capacité à reconstruire des ponts entre l"éros interhumain et l'éros qui s'oublie pour se pencher vers Dieu, dans une introduction à la transcendance, dont l'agapè du Christ est la seule médiation possible.
Mais ce n'est pas la voie de Rilke qui reste marqué par le caractère tragique de l'existence.
Cette voie n'est pas sans espérance, comme si la créature gardait la confiance que l'homme pourrait le sauver. Pour Balthasar, Rilke rejoint là la grande espérance de la création dont parle à sa manière Saint Paul dans Romains 8, 21.
Pour Rilke le chant est existence.. "Un vol en Dieu, mais en un Dieu déchiré et répandu à travers le monde qui, ainsi épars, continue à chanter par les lions et les rochers, par les arbres et les oiseaux dont l'harmonie transcendantale couvre dans cet état même de déchirement, la haine destructrice. (...) Tu fus l'ordre qui domina leurs cris, toi qui es beau, du flot des destructrices s'élève ton jeu constructeur. (p. 178).
Rilke permet ainsi de percevoir la plénitude dans le renoncement, "car parmi les hivers, il en est un sans fin, tel que l'ayant surmonté ton coeur en tout survivra".
Nous ne restons justes que lorsque malgré tout nous louons. Célébrer c'est cela.
On peut concevoir que ce chemin anthropologique a pu faire naître dans une personne sensible comme Etty Hillesum un chemin de conversion intérieure qui dépassera l'athéisme de Rilke vers une flamme d'amour véritable...
Source principale : Hans Urs von Balthasar,
La Gloire et la Croix, Les aspects esthétiques de la révélation,
4 Le Domaine de la Métaphysique
*** Les héritages,
tome 86 tr. Givord, Aubier Théologie, Paris 1983
A partir du même ouvrage, une analyse de :
Nicolas de Cuse
Marsile Ficin
Léon l'Hébreu
Giordano Bruno
Göttfried de Strasbourg
Paul Claudel
Comte Anthony de Shaftesbury
Friedrich Hölderlin
Goethe
Rainer Maria Rilke
Heidegger
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