Dans son ouvrage maintenant ancien, Jacques Guillet avait une lecture positive de l'Evangile. Il soulignait la difficulté, soulevé par l'exégèse moderne d'une distinction entre ce qui relève d'une réalité du Christ pré-pascale et de la relecture, faite par les évangélistes, "à la lumière de la résurrection". Cette relecture est importante. Mais dit-il, s'il ne "faut pas ignorer les questions posées par la réalité du Christ pré-pascal" on doit considérer, comme l'on fait les Evangiles, qu'une vie d'homme ne peut être véritablement perçue qu'à l'aune de sa vie entière, sous l'éclairage qu'en fait la mémoire après sa mort.
La fin d'un homme donne la clé de son existence. Chez le Christ, sa mort l'a fait Seigneur et Christ (Act 2,36) "lui donnant pour ainsi dire une personnalité nouvelle (...) sa place définitive au centre et au sommet de l'univers." (cf. p.8)
Les récits de l'après résurrection montre qu'il reste homme, qu'ils ont mangé et bu avec lui, ce qui lui donne un corps et souligne son accessibilité et la réalité de sa vie après la mort, même si les apparitions restent brèves.
Pour découvrir ce qu'il sera, il reste qu'il n'y a qu'une voie possible, se reporter aux jours de sa vie terrestre. Ne pas ranimer ces souvenirs, mais retrouver les mots et les gestes, la gloire qu'a fait éclater sa résurrection. C'est vrai que le temps et cette relecture peuvent conduire à des approximations, mais souligne-t-il, la foi est plus facteur de fidélité que d'altération.
Certes dit-il, parfois deux versions s'opposent. Par exemple les textes de Mc 6,51 et Mat 14,32. Dans un cas la marche sur les eaux n'est pas comprise, dans l'autre elle est révélation. Chaque détail a son importance, mais la vision stéréoscopique donne pour lui une vision dynamique. A la stupeur dépeinte par Marc suit l'intellection perçue "à la lumière de la résurrection" et qui conduit à la vision de Matthieu.
L'évangile est vecteur de notre conversion intérieure. La richesse de Jésus-Christ c'est l'Esprit-Saint, secret de l'existence de Jésus-Christ. Porter attention à Jésus-Christ et se rendre docile à l'Esprit-Saint sont inséparables.
De plus, l'Ancien Testament est essentiel pour comprendre le Nouveau Testament.
La lecture de l'histoire de David, " un coeur noble au delà du soi" donne déjà le meilleur de l'idéal moral (cf. p. 21).
La prise en compte de l'histoire de l'Alliance comme contrat d'association marque tout l'apprentissage du peuple de Dieu. La loi, donnée par Dieu étant destinée à former la conscience et le châtiment était signe que Dieu pouvait prendre au sérieux l'injustice. L'ancien testament est l'histoire de cette formation de la conscience d'un peuple. Comme le rappelle Isaïe (1, 10-16), "que m'importe vos sacrifices, vos mains sont pleines de sang..." Dieu ne vise pas l'obéissance mais la conscience du coeur.
La bonne nouvelle vient accomplir la loi, mais dans la découverte de la miséricorde. "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (Lc 6,36)". La miséricorde, dans la tradition biblique, désigne cet amour profond des autres, infiniment plus vaste que ce que l'on peut ressentir personnellement des souffrances et des joies, C'est un peu comme si l'autre était né de notre sang.
Pour J. Guillet, les chrétiens ont la garde des béatitudes. Ils ne les annoncent vraiment que si leur charité éclate dans le monde comme un signe de la présence divine (p. 32).
"Le pauvre est sur la terre l'une des révélations les plus expressives du visage divin et tout nous force à croire que le Dieu qui ouvre aux sens les richesses de sa gloire garde dans sa splendeur un air de parenté avec le pauvre. Mais ce serait fausser entièrement cette révélation que de la séparer si peu que ce fut de l'exigence également impérieuse, également divine de la justice. Dieu pauvre est aussi Dieu juste. Jésus-Christ nous révèle l'injustice. L'élévation du Christ en croix est le signe qui manifeste à quel point l'injustice a corrompu les coeurs. Or le seul qui est capable en nous de l'entendre et d'y répondre, c'est l'Esprit-Saint.
Tout l'Ancien Testament vibre dans le désir et la crainte de voir la Gloire de Dieu. (p. 37). Dans le récit de l'exode, l'orage est le prélude de la gloire de Dieu mais montre en même temps "l'inconsistance de la terre à l'approche de la gloire de Dieu". La gloire, au delà de l'orage, seul Moïse y accède et son visage rayonne au point que ses frères ne peuvent en soutenir l'éclat (Ex 34,29-35)
Moïse n'en voit que le dos mais dans son passage, il entend le secret : "Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en bonté et en vérité" (Ex 34,6)
De même, Elie (1 Rois 19,4) découvre le silence plus dense, plus chargé de poids et de sens que tout le bruit passé.
Dans Isaïe, c'est le temple qui chante la gloire (Is 6,1-8)
A leur suite les prophètes sont touchés par la flamme. Qu'ils l'aient vu comme Moïse et Isaïe, perçus comme Elie dans le silence ou comme Jérémie dont elle dévorait les entrailles d'une passion brûlante, tous ont été saisis par la gloire de Dieu et ne vivent plus que pour elle.
Le nouveau testament va cependant plus loin dans cette révélation. Le baptême permet d'accéder à une triple vocation.
Déjà par l'aspersion d'eau pure nous sommes rendus purs comme le dit l'Ecriture : "De toutes vos souillures et de toutes vos horreurs je vous purifierai. Je vous donnerai un coeur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau. J'ôterai de votre chair le coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai en vous un Esprit et je ferai que vous suiviez mes lois (Ez 36, 25-27). Mais le Christ nous baptise dans l'eau et le feu. "Des fleuves coulerons de son sein (Jn 7,37). "Si quelqu'un a soif qu'il vienne a moi..."
Pour J. Guillet, le Nouveau Testament dissipe encore les illusions que pourraient s'autoriser l'Ancien Testament pour confondre l'Esprit de Dieu avec la plus précieuse des expériences humaines. Le Nouveau Testament n'associe pas l'Esprit à l'eau, élément de la nature, mais au baptême, geste sacramentel dans lequel l'eau se trouve élevée à une condition nouvelle, pour être entré en contact avec les gestes de Jésus-Christ.
Pour comprendre l'action de l'Esprit nous n'avons pas tant à interroger les mers et les fontaines, qu'à découvrir ce que fut, pour Jean-Baptiste, pour Jésus-Christ et pour ses apôtres, le baptême qui fait les chrétiens.
Déjà dans son récit, Mc 1,10 nous ouvre à une expérience intérieure de Jésus-Christ, qui perçoit le Père et l'Esprit.
Jésus voit le Ciel s'ouvrir et voit en face à face dans un état que Saint Paul nomme l'anéantissement. L'humanité qu'il partage avec nous n'est pas transformée pour autant mais le Fils est en contact avec le Père. Cette ouverture du ciel comble l'attente millénaire du peuple de Dieu, l'attente des hommes depuis qu'Adam fut chassé d'Eden.
"Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! Devant ta face fondraient les mots... " dit Isaïe au chapitre 64, verset 1.
Le baptême est l'heure où la brèche s'ouvre.
Et Dieu affirme cette alliance nouvelle "Tu es mon Fils bien aimé, en toi je mets toute ma joie / mon bon plaisir" (Mc 1,11)
Comme le souligne J. Guillet, pour que l'enfant se sache fils, il faut qu'il sente au fond de lui-même que sa force, son élan à vivre et son assurance devant les autres lui viennent de ses parents, de leur force, de leur présence et de leur amour.
De même "Jésus ne cesse de se sentir porté et façonné par la main créatrice de son Père et lui répond en consacrant tout son être à son service, en vivant toute son existence en Fils bien aimé. Or pour se savoir ainsi le Fils unique et pour être capable de vivre en Fils, il faut à Jésus la présence et l'action de l'Esprit-Saint, la voix qui descend du Ciel, répond de l'intérieur présent en lui le témoignage de l'Esprit" (p. 63).
Comme le Christ l'affirme lors de la tentation : C'est la Parole qui nourrit Jésus "qu'il tient de Dieu et qui le fait vivre", c'est celle qu'il a entendu de son Père au baptême. Jésus n'a pas d'autre joie.
Pour lutter Jésus n'a rien. Il est un, affamé, désarmé mais n'a qu'une force, le témoignage intérieur de l'Esprit, la voix qui l'assure que rien ne pourra le séparer de l'Amour du Christ (cf Rom 8,38 ss)
D'une certaine manière, la tentation est la preuve que le baptême n'est pas un fugitif rayon de lumière, mais bien une force permanente, une source intarissable.
A ce stade J. Guillet affirme que "Ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu n'ont pas besoin d'une loi extérieure (Gal 5,18) mais ce n'est pas qu'ils n'aient point de loi : ils sont au contraire soumis à une loi toute intérieure et infiniment plus rigoureuse, parce qu'elle est la loi de leur être. De même que Jésus Fils de Dieu ne peut se manquer d'accomplir jusqu'au dernier iota ce qui est dit du Fils de l'homme, sous peine de n'être plus le Fils de Dieu rempli de l'Esprit-Saint, de même le chrétien qui vit selon l'Esprit ne peut être infidèle à la volonté de Dieu sans se renier lui même et sans détruire son être." (p.75).
Il ajoute (p.76), "Des personnalités fortes, celles qui rayonnent et s'imposent sont celles qu'on sent dominées par une grande exigence, absorbées par de haut soucis. Un souffle pur et vif les entraîne et, sur leur passage, balaie les calculs étroits et les pensées frivoles. Ce souffle pourtant n'est pas forcément le souffle de l'Esprit Saint, cet esprit peut naître de chair et de sang, ce peut être celui d'une ambition généreuse mais très personnelle, d'une révolte puissante et lucide mais murée sur elle-même et dans son désespoir. L'Esprit-Saint concentre les énergies (...) Pour vérifier que l'esprit qui anime et lui impose sa voie et son exigence est bien l'Esprit de Dieu, Jésus nous propose un signe : cet Esprit le consacre aux pauvres et aux malheureux, il envoie leur annoncer la joie et le salut. Ce lien entre la présence de l'Esprit et le don du salut aux misérables est une constante de l'Evangile, une constante dont la source profonde est le Christ lui-même, qui ne révèle sa véritable personnalité, sa relation essentielle avec l'Esprit-Saint qu'au contact de la détresse et du malheur de l'homme. On peut retrouver ici cette distinction importante que souligne G. Médevielle dans Le bien et le mal, lorsqu'elle rappelle qu'une conscience véritable doit être vérifiée sous le triple prisme cher à Xavier Thévenot qui distingue le singulier, le particulier, et l'Universel... (cf. Médevielle...).
Le souci du pauvre est pour moi l'ouverture qui garantit l'universalité de notre charité. Un chemin qui reste à travailler sans cesse.
J. Guillet va plus loin dans cette analyse lorsqu'il souligne (p. 89) que voir partout le diable est le meilleur moyen de ne pas le reconnaître là où il se cache : là où nous croyons servir Dieu quand nous cherchons seulement à l'exploiter pour nourrir nos appétits, pour étaler notre valeur, pour dominer le monde où nous vivons. Contre cela, une seule force nous aide : le Père.
Face au Christ, Satan ne trouve qu'un homme désarmé, dépourvu de toute richesse qui ne serait pas un don de Dieu à son Fils. "Rendez vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force" (Eph 6,10 ss). Pour nous les hommes, il n'y a qu'un seul trésor à demander c'est l'Esprit-Saint... Et notre prière peut reprendre le langage de Paul : "si je prie, ce n'est plus moi mais le Christ qui prie en moi" Gal 2,20.
Guillet conclue ainsi : "Grâce à l'Esprit-Saint qui nous anime et nous sanctifie, un mystérieux transfert, une vivante communion s'opère et la prière de Jésus devient réellement la notre, non point comme un modèle à imiter ou un cadre à remplir mais comme un prolongement personnel, une efflorescence authentique (...) C'est toujours notre prière : elle ne traverse pas notre coeur comme un courant venu de l'extérieur, elle jaillit de notre détresse ou de notre joie la plus personnelle, de notre amour le plus secret. Mais elle est en même temps, non point comme une coïncidence miraculeuse mais par une loi de nature et de croissance, la prière de Jésus-Christ, le mouvement même de son coeur, l'élan qui le porte vers son Père... Comment ? C'est le mystère de l'Esprit.
Il conclut son livre en nous invitant à prier le notre père ainsi :
Notre Père de Jésus-Christ notre Seigneur,
Que votre nom soit sanctifié comme il s'y consacrait.
Que votre règne arrive comme il l'attendait.
Que votre volonté soit faite comme il le voulait.
Donnez nous notre pain quotidien comme il le recevait de ses mains.
Pardonnez nous nos offenses comme nous pardonnons aussi ceux qui nous on offensé comme il vous en priait
Ne nous laissez pas succomber à la tentation, comme il vous en priait.
Délivrez nous du mal comme il vous suppliait.
Jacques Guillet, Jésus-Christ, hier et aujourd'hui
Collection Christus nº11 DdB 1963
Du même auteur : Jésus-Christ, sa vie, sa mort. Collection Christus.
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