Parler de Goethe peut sembler un peu irréaliste, dans un essai sur la gloire de Dieu, mais on peut dépasser l'analyse superficielle de l'auteur pour percevoir dans certains de ses écrits ces étincelles de l'âme qui traduisent une recherche de la vérité et de la beauté.
Si tout semble creux et vide dans ce triste crépuscule de l'athéisme, on peut cependant déceler les traces d'une incertitude et d'une recherche. Pour Goethe, "Ce qui rend libre, ce n'est point le refus de reconnaître quoi que ce soit au dessus de nous, mais bien le fait de vénérer ce qui nous est supérieur."
Goethe ne parle plus de gloire mais conduit l'Analogia entis jusqu'au bout.
Balthasar note ainsi une cassure dans la vie du poète, qu'il situe lors de son voyage, de sa fuite en Italie. Dans Faust, qui est un peu l'autobiographie des recherches intérieures de Goethe, il note cet attrait pour la puissance. Parce qu'il veut tout, il recourt à la magie. Cette conjonction avec l'esprit de la Terre poursuit cette coïncidentia oppositorum qui n'est pas analogie mais identité dans laquelle l'homme se plonge dans le cosmos non divin mais démoniaque (p.118)
Faust cherche l'instant d'identité divino-démoniaque et en même temps le maudit d'avance. C'est peut-être la tentation d'Adam renouvelée...
Cette hésitation entre Dieu et le diable est le résultat du désir (eros desiderium). Le plus intéressant dans cette analyse, c'est le mouvement, le passage qui conduit Faust du mal vers le bien, et de la même manière Goethe lui même....
Goethe découvre à sa manière que ce n'est pas l'amour mais le renoncement et le respect qui domine.
"Ne serions nous pas près du désespoir devant ce monde tellement glacé et inerte si rien au dedans de nous ne se développait pour donner à la nature une toute autre splendeur en nous transférant le pouvoir de nous ennoblir nous-même en elle".
C'est au poète que revient de mettre en lumière la véritable ressemblance de l'homme avec Dieu.
"L'ensemble de toute la nature serait pour nous le beau suprême, si nous pouvions l'embrasser en un instant. Tout bel ensemble de l'art est en petit une représentation du beau suprême de l'ensemble de la nature" Goethe XIII 73, cité par Urs von Balthasar p. 142.
"L'art élève l'homme au dessus de lui-même, le divinise pour le présent... Le Dieu s'est fait homme afin d'élever l'homme au rang de Dieu". Goethe XIII 421-422
Pour Balthasar, c'est dans les Affinités Electives qu'une anthropologie métaphysique se détache vers une anthropologie éthique. Goethe y distingue trois degrés de renoncement.
Si Odile n'a pas besoin d'accomplir de renoncement. Elle est renoncement, Edouard se distingue par son égotiste.
Mais il se heurte à la barrière du mariage, le fondement de toute moralité sociale, principe et sommet de toute civilisation...
Odile ne renonce pas. Il faut qu'elle aille jusqu'au sacrifice. Elle devient une personne sacrée jusqu'à faire voeu de silence complet et se réfugier dans une privation de nourriture presque totale. Elle se transcende comme la Béatrice de Dante et introduit l'éros dans une totalité qui inclut la mort, l'exige et en même temps la surmonte.. Elle se place dans le mystère du don de soi, en une grâce totale, insaisissable qui précisément enfouit le sacrifice de soi-même dans l'éternel.
La voie d'Odile est celle qui lutte contre l'égotisme et pousse au respect...
Si le mystère de la croix échappe à Goethe, qui n'est pas un priant comme Hölderlin, Goethe présente un éros qui n'est pas qu'une voie vers le dépassement, un simple élan vers Dieu. L'éros tend vers l'autre pôle, en tant qu'éros profane entre l'homme et la femme.
Goethe rejoint ici Feuerbach chez qui le divin brille dans l'interhumain.
A travers Goethe et l'héritage qu'il laisse à sa suite, on assiste pour Balthasar à une "autodilution de l'anthropologie immanente de plus en plus orientée vers le pervers pour nous maintenir éveillés."
Un éros qui dépasse le monde n'a plus de place. Il laisse libre cours à l'équation d'un amour interhumain.
On retrouvera certains accents chez Bergson dans sa vision de l'évolution créatrice, ou chez Nietzsche dans le oui éternel de l'être tourné vers l'éternité, mais ce sera aussi le retour éternel du même dans son "surhomme". Pour Balthasar, Zarathoustra n'a aucune fidélité qu'à soi-même...
Source principale : Hans Urs von Balthasar,
La Gloire et la Croix, Les aspects esthétiques de la révélation,
4 Le Domaine de la Métaphysique
*** Les héritages,
tome 86 tr. Givord, Aubier Théologie, Paris 1983
A partir du même ouvrage, une analyse de :
Nicolas de Cuse
Marsile Ficin
Léon l'Hébreu
Giordano Bruno
Göttfried de Strasbourg
Paul Claudel
Comte Anthony de Shaftesbury
Friedrich Hölderlin
Goethe
Rainer Maria Rilke
Heidegger
Vous voulez participer à ce recensement, commenter ou compléter les fiches déjà réalisées...
|