Le Bien et le mal, Geneviève Médevielle
Collection tout simplement. Les éditions de l'atelier.
Paris janvier 2004
Dans un remarquable ouvrage sur Le bien et le mal, dans la collection Tout Simplement des Editions de l'Atelier, G. Médevielle nous trace cet égard un chemin de discernement.
Nous en présenterons brièvement l'analyse, complétée par d'autres approches (Beauchamp, Thévenot) tout en essayant d'en tirer quelques conséquences sur notre rôle d'animateur CPM.
Notre société évolue, bouge. La morale comme la religion ne sont plus nécessairement perçus comme des impératifs et n'ont plus l'ancrage social et culturel qu'ils pouvaient avoir auparavant. De fait il existe un risque de perdre ses repères. Cela n'enlève pas cependant l'importance d'un travail intérieur de la conscience. Mais ce travail intérieur manque parfois de bases pour accéder à sa propre humanisation.
Actuellement on donne facilement priorité à la tolérance, au respect, au non jugement voire à la non intervention dans la vie d'autrui. Ces valeurs font parti d'un consensus social, mais permettent elles à l'individu de grandir en humanité ?
La liberté est un acquis fondamental de notre société et il reste important de ne pas juger les gens mais faut-il pour autant ne pas juger les actes ? Ne sommes nous pas appélé à discerner ce qui est bon pour l'homme, humanisant pour lui et pour l'humanité.
Notre vie, nous en faisons tristement l'expérience, reste marquée par la présence du mal. Cependant, en tout homme repose la possibilité d'une bonté intérieure. La foi, n'est pas d'ailleurs le seul critère d'une humanité. Certains non croyants sont plus humains que ceux qui se disent croyants.
Et cependant, chrétiens nous pensons que la vie morale ou éthique ne peut se couper de ses racines spirituelles.
Au delà d'un conflit sémantique entre deux termes équivalent (Ethique est en grec ce que morale exprime en latin), le cheminement moral de tout homme reste d'actualité, même s'il faut être prudent dans son introduction. Les excès passés d'une morale imposée pousse à une certaine retenue dans la manière et l'interpellation éthique d'un individu.
Mais cependant, à travers tout choix entre Bien et Mal, le discernement moral reste essentiel. Car il s'agit bien d'être, d'être humain dans un monde qui perd souvent son humanité.
La conscience nous dit St Thomas d'Aquin est un acte intérieur, un mouvement intime de la volonté humaine. L'acte intérieur qui fait appelle à la conscience doit précéder l'acte extérieur, le choix à faire. On ne peut d'ailleurs opposer les deux, mais discerner si les actes extérieurs sont en accord avec cette volonté profonde de l'être en soi. Ce discernement n'est pas simple. Car l'agir se place dans un univers et hérite de sa complexité. L'acte en soi n'est pas isolable...
L'Ethique devient une éthique de la construction de soi, un art de l'existence. Il s'agit principalement de cette réponse, de l'intérieur à une quête profonde de liberté et de sens.
Pour Comte-Sponville, la morale peut être un interdit donné à soi-même pour tenir compte des autres et être fidèle à la fois à une certaine humanité et à soi-même.
Dans ce contexte, le chrétien commence par croire à la positivité du bien. Pour Paul Beauchamp, auteur sur ce sujet d'un livre remarquable D'une Montagne à l'autre, la loi de Dieu, la loi du Christ n'est pas une série d'interdits mais peut être perçu comme une hyperbole, un appel à l'excès du bien. Seul l'excès du bien peut vaincre le mal et la voie traçée par le Christ serait ce chemin qui nous conduit à l'excès du bien, au delà du mal qui nous habite et nous entoure...
Pour Beauchamp le don de la loi doit être précédé d'un don plus grand. Dès la Genèse, le don du jardin précède l'interdit, qui va être structurant.
L'incertitude entre bien et mal est postérieur dans la Genèse à l'exultation du bien. Les règles sont données avec un a priori pour qu'il y ait liberté. Comme l'enfant qui dès le sein maternel perçoit le bien et le mal, l'homme accède ainsi à une conscience intérieure.
Mais cela a ses limites et n'implique pas l'héroisme, le don de soi total, qui est seul est amour-charité (agape).
Le passage au vrai sens moral implique de passer de la spontanéité à une identification de ce qui à une valeur en soi. De fait, les valeurs subjectives différent des valeurs absolues. Comme l'enfant qui devient adulte lorsqu'il devient autonome dans ses choix, lorsqu'il n'est plus conduit par la seule subjectivité, l'homme est appelé à poser, librement, un choix responsable.
Or le passage à l'amour vrai, le "fondamentalement humanisant" c'est l'accès à un "je me donne à toi" qui est sans retour. Nous savons d'ailleurs que seul cet acte de don véritable caractérise le sacrement de mariage dans le sens où il est image du don total du Christ.
L'accès à un acte humain véritable ne serait-il pas celui qui entre dans les pas de l'amour chrétien, de l'imitation de Jésus-Christ. On trahirait le Christ si on oubliait qu'aimer en vérité peut conduire au sacrifice, nous rappelle G. Médevielle.
Mais ce chemin n'est pas un tunnel. Il reste chemin de liberté. Il ne s'agit pas pour autant d'un "Aime et fais ce que tu veux" mais de la prise de conscience que la condition de notre vie et de notre liberté c'est adhérer au fond de soi à l'amour comme loi.
"C'est toujours librement que l'homme se tourne vers le bien. L'homme (...) se conduit éthiquement (...) par des choix fait en conscience." (Vatican II, Eglise dans le monde de ce temps).
Souvent nous nous référons à notre conscience qui seule nous permet de décider et d'agir. Mais cette conscience ne peut-elle être parfois qu'une subjectivité déguisée ?
Pour St Thomas d'Aquin la lumière de la raison est le reflet de la lumière divine. Il est important de connaître et reconnaître la volonté de Dieu, cachée en l'Esprit de Dieu par la raison naturelle.
Cependant explique ce docteur de l'Eglise, la conscience erronnée reste possible. St Thomas définit en effet plusieurs niveaux de conscience : Celle qui est, dans sa profondeur, le sens naturel et radical du bien et du mal est lumière infaillible, parce qu'inscrite en nos coeurs par l'Esprit.
A l'inverse, il y a celle qui est plus "visible", une conscience qui est jugement de nos actes et met en oeuvre un travail d'investigation et d'évaluation des matériaux de nos actes. A ce niveau, plus superficiel, peut se glisser l'erreur de discernement et la conscience erronnée.
L'erreur de notre conscience n'est pas naturelle, explique G. Médevielle. Elle reste une donnée anormale de la conscience qui s'explique par nos limites, nos ignorances, nos paresses qui voilent la lumière. Elle implique cependant un discernement, une ouverture, un éclairage dira Jean-Paul II dans Veritatis Splendor.
La conscience profonde peut être atteinte dans le dialogue, dans la mise en lumière de nos contradictions superficielles. Sans ce dialogue, l'homme est conduit à l'isolement, au retrait et à la toute puissance de l'orgueil.
Seule la conversation, la communication avec d'autres sont des moyens qui permettent d'affiner la conscience.
Echapper à l'individualisme, c'est peut-être oser la question éthique en nous, se poser comme "être avec les autres" en cherchant en fonction de cette solidarité fondamentale, des chemins permettant à chacun de réaliser sa vocation la plus haute, insiste G. Médevielle.
Elle cite d'ailleurs sur ce plan la thèse de Xavier Thévenot, pour qui l'humain suppose une articulation de trois dimensions : l'universel, le particulier et le singulier. Pour lui, nous ne pouvons atteindre une humanité véritable que lorsque notre agir humain respecte ces trois dimensions.
Le particulier, nos particularismes locaux, nos traditions, insérées dans une communauté, ne sont qu'une réduction de l'universel. Le singulier, c'est le caractère unique de la personne, qui a elle aussi sa place dans notre démarche humanisante. Mais, respectons nous dans nos actes, l'universel. C'est à travers cette interrogation, qu'ensemble, on peut progresser vers une conscience intérieure et véritable.
Si l'on oublie une dimension au conjugal, il n'y a pas d'humanité véritable. La vocation de l'homme est d'être image, mais cette image n'a de sens qu'à travers la relation, lorsqu'elle devient image de la Trinité. Cette vocation de l'homme au service du bien authentique de l'humanité est l'appel de Dieu à notre conscience, elle interpelle notre liberté.
La Loi, le décalogue que complète la Régle d'or d'un "ne fais à personne ce que tu ne veux pas que l'on te fasse" introduite tardivement (Tobie 4, 15-16) relève de la loi naturelle. Cette loi nous dit Jérémie et reprends St Paul dans sa lettre aux Romains est inscrite dans le coeur de tout homme (même des païens, Rm 2 14-15).
Mais notre raison n'est pas infaillible en raison du mal qui nous habite. En cela, la Révélation confirme les découvertes de la conscience et nous aide à les corriger.
Pour les croyants, c'est la confiance dans le travail de la grâce et de l' Esprit Saint au sein de la création qui autorise la confiance en la raison. La grâce est médiatrice de notre conscience, la purifie pour la conduire à la Vérité. Ce travail de médiation ne peut se faire qu'à travers l'éclairage du Tiers dans sa manifestation intérieure (grâce) ou extérieur (autrui).
La Révélation nous aide à décrypter le destin de l'humanité. La méditation de la vie et de la mort du Christ engage notre relation à Dieu. Dans l'actre concret c'est l'être chrétien tout entier qui se joue. Etre chrétien, peut être alors retrouver une unité entre foi et vie (par delà le bien et le mal). Selon Vatican II (GS 21,5) " Le témoignage d'une foi vivante et adulte s'exprime dans cette fécondité qui se manifeste en pénétrant toute la vie profane et entraîne les hommes à la justice et à l'amour, surtout au bénéfice des déshérités".
Notre conscience est appelée vers cette charité véritable, qui n'est plus une simple théorie mais un appel concret à participer à l'humanisation du monde, dans ses trois dimensions, singulières, particulières et universelles.
Cet appel n'est pas simple. Il peut conduire à un écartèlement de notre conscience. Cela invite à une perpétuelle relecture, un discerrnement, mais aussi avec la nécessité d'inscrire notre foi dans toute la vie morale. Nous ne sommes pas pour autant des saints et notre conversion est impossible par nous-même.
L'écoute de la parole peut cependant être au coeur de notre conversion mais aussi de notre manière de révéler et proposer la foi à d'autres. La Parole est lieu de méditation. Elle peut faciliter le travail de l'Esprit en nous, être lieu de relecture notamment dans notre capacité à entreprendre un chemin pastoral.
Ce travail de notre conscience est un long chemin, comme l'est toute conversion. Même Claudel ne s'est pas converti en un jour. Il s'agit d'un lent processus complexe. L'enjeu reste notre aptitude à ouvrir notre porte à la présence de Dieu.
Mais là encore, cette ouverture n'est pas à idéaliser. Comme le souligne Madeleine Delbrel, on ne peut aimer Dieu sans aimer l'humanité, et l'on ne peut aimer l'humanité sans aimer tous les hommes d'un amour actif (Madeleine Delbrel).
Suivre le Christ ce n'est pas appliquer à la lettre mais découvrit celui qui appelle "Viens et suis moi". Il s'agit peut-être d'amorcer une décentration de soi pour placer l'absolu en dehors de nous mêmes, se rendre ouverture à l'altérité. C'est la direction prise par la Révélation et par là même le chemin de l'amour trinitaire.
L'homme est un être en devenir ajoute G. Médevielle . Son chemin le conduit à se rapprocher d'un être-image du Christ, d'un être en devenir.
On retrouve là ce que disait St bonaventure lorsqu'il présentait les différents niveaux d'être. L'homme n'est qu'image de Dieu, mais il est invité à devenir ressemblance véritable. Seul le Christ est ressemblance.
Acquérir ces vertus ne peut se faire en un jour. Il faut pour cela aiguiser ses forces et contrôler ses faiblesses. Mais le Christ nous trace un chemin de liberté, d'espérance, de confiance, de simplicité, d'humilité, et de charité. Choisir le bien demande courage, imagination, prudence, patience, discernement. Ces vertus sont nécesssaires pour combrattre tout ce qui nous fait obstacle.
Nos empéchements à la liberté, au discernement sont souvent de trois ordres : l'ignorance, la passion qui nous masque la vérité, nos héritages et notre tempérament, mais parfois aussi nos habitudes et notre éducation.
Vouloir le bien, c'est aller au delà de tout cela et désirer ardemment le vouloir divin. Discerner le mouvement intérieur de notre âme, cette conscience profonde et voir ce qui est ou n'est pas conforme à Dieu.
Même les saints se trompent. Ces choix sont complexes et restent lieux de débats. Il n'y a pas une voie unique mais bien des chemins d'humanisation.
G. Médevielle conclut que la finalité morale reste peut-être de s'inscrire dans une conformation à l'image de Dieu. Le principe qui commande toute vie morale reste cette loi intérieure d'amour et de charité que l'Esprit inscrit dans nos coeurs, dans l'espérance que ce qui est impossible à l'homme reste possible à Dieu. (Lc 18, 27)
C. Heriard
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