L'idéal des Anciens était le loisir (otium), soit à Rome 180 jours de fêtes gratuites pour tous. Le non-loisir (necotium d'où négoce) était abandonné aux esclaves. Les chrétiens, avec saint Benoît, dénoncèrent cette conception: "Le loisir, l'oisiveté, (otiositus) est l 'ennemi de l'âme", dit-il. Et de réhabiliter le travail manuel. Il a tellement bien réussi, qu'aujourd'hui, nous sommes dans une situation inverse: après que Pascal ait dénoncé le divertissement, le travail est devenu pour certains une drogue. Et voici que ressurgit le temps du loisir, avec cinq semaines et plus, de congés payés, les trente-cinq heures avec leur cortège de jours supplémentaires, et les vingt-cinq ans de retraite, le tout peuplé par le téléphone, la télévision, la console de jeux, I'écran fascinant de l'ordinateur, la drogue... bref, I'ennui, quoi !
Tout est donc une question de sens. Quelle signification puis-je donner à ce temps libre qui revient en force ? Temps vide: Mickey, Astérix ? Temps plein : tennis, piscine, flûte à bec, danse, poterie, ouf ! Ah, j'oubliais: fout. Le pied, capital ! Mais saint Benoît a toujours raison. Où est l'âme dans tout cela ? Certes le temps libre est fait pour se reposer, se distraire, reprendre possession de son corps, choisir un temps de retrouvailles, à deux en couple, qu'en famille. Encore faut-il que tout cela soit orienté vers un authentique bonheur, celui de la relation avec soi-même et autrui.
Nous restons marqués par la conception ancienne, celle de la semaine de travail, se terminant par le septième jour, le sabbat, le jour du repos. Or au dernier jour de la semaine s'est ajouté, depuis deux mille ans, le premier jour, le dimanche, le jour du Seigneur ressuscité. Ce nouveau temps libre est celui qui donne sens à notre vie, avant même que ne commence le travail. Alors, au lieu de le vivre, comme un autre temps de fatigue ou de travail, et de chanter "Sombre dimanche", comme on le faisait lors des tristes années trente d'avant guerre, qu'il soit, en cette fin de jubilé, le jour de notre joie et de notre libération.
Michel Rouche

