"Que désirez-vous ?" demande le serveur au restaurant.
Et chacun d'exprimer son désir, choix mûrement réfléchi à partir des possibilités de la carte et de ses envies personnelles. Mais peut-on dire que le désir d'un bon repas est de même nature que le désir envers une personne de l'autre sexe ou que le désir de Dieu ? Dans notre langage quotidien, il importe de mieux définir le besoin par rapport au désir, l'envie, l'excitation, la jalousie, la rivalité, la pulsion, bref tout ce qui nous pousse en avant, bon ou mauvais pour soi ou pour l'autre. Et comment articuler le désir avec l'amour ?
Le développement de la personne permet de préciser la nature et la genèse du désir. L'enfant n'aime pas ses parents, pas plus que don Juan n'aime les femmes. Il est en proie à des pulsions partielles, à des blessures perturbant la maturation du désir. Ce dernier s'unifie lentement durant l'adolescence en combinant pulsions et manques avec la volonté consciente. Il culmine en un désir de vivre, d'exister et d'être en relation avec autrui. La promulgation de la loi, sous la forme de l'interdit, permet de cultiver le désir, de le canaliser vers autrui. Alors le désir devient le fondement du couple.
Cet itinéraire accompli, ce désir durable de maintenir sa vie dans la cohérence et l'unité se heurte à l'insatisfaction car il se révèle infini, tué par sa propre possession du plaisir puis renaissant sans cesse. Aimer l'autre non plus pour soi, mais pour lui-même, devient alors un combat. Le désir dévorant peut déboucher sur la destruction, tandis que le désir, renonçant à la possession de l'objet ou de l'autre, peut mener à l'épanouissement. Ambivalence du désir, tantôt égoïste (eros), tantôt altruiste (agapè), toujours infini.
Cette soif inextinguible du désir ne peut être étanchée que par la source du désir: Dieu, qui en est le maître, Jésus la désire lui aussi, de la même manière que Yahweh a désiré Jérusalem, figure de l'Eglise à venir. Jésus a connu l'épreuve du manque. Ses disciples l'ont cherché alors qu'il adressait à Dieu une prière ardente, tout comme ils continuent à le chercher depuis la Pentecôte. Mais pour que le désir de Jésus devienne le nôtre, encore faut-il dire avec lui: " J'ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir " (Luc 22,15).
Michel Rouche

